Friday, December 28, 2018

New interview with Habermas - by Aubert and Kervégan

The French journal "Le Philosophoire" (no. 50, 2018/2) contains an interview with Jürgen Habermas, conducted by Isabelle Aubert and Jean-François Kervégan - the editors of "Dialogues avec Jürgen Habermas" (CNRS Editions, 2018):

Entretien avec Jürgen Habermas” (pp. 33-52)

The topics are: The history of philosophy, the critical theory of the Frankfurt School (Marcuse, Neumann, and Kirchheimer), law and democracy, feminist theorists, ethnocentrism, religion, migration, and the European Union.

Excerpts:

On fundamentalism as ideology

Aubert & Kervégan: Dans les années 1980, vous avez soutenu que le terme d’idéologie est un macro-concept qui a perdu sa pertinence théorique et qui ne correspond plus à une réalité sociologique dans le cadre de sociétés pluralistes et fonctionnellement complexes. Pour des raisons sociologiques, et aussi sans doute parce que l’usage de ce vocabulaire a été discrédité par le recours massif que les versions les plus trivialisées du marxisme ont eu à lui, vous justifiez l’emploi de la notion de «communication systématiquement déformée» plutôt que celle d’idéologie. (.....). Le renouveau des fondamentalismes religieux, et le renforcement de courants intégristes dans les religions monothéistes (catholicisme, protestantisme, judaïsme, Islam), ne peuvent-ils pas s’interpréter en termes d’idéologie?

Habermas: C’est une suggestion intéressante. Marx lui-même, en procédant à une critique de l’idéologie, pouvait encore déduire directement les idées de la gauche, des libéraux et des conservateurs, correspondant aux différents camps que reflétait depuis 1789 la distribution des sièges au Parlement, des positions sociales des classes et de leurs intérêts. Ces rapports de classes transparents n’existent plus dans nos sociétés complexes. Mais si, comme vous le suggérez, on comprend les mouvements fondamentalistes actuels comme des phénomènes modernes et si on les ramène en dernière instance au déracinement des positions sociales sous la contrainte de la modernisation capitaliste, alors, en de tels cas, l’existence d’un lien clair entre visions du monde et positions sociales suggère de conserver le concept d’idéologie. La même chose vaut pour bien des arguments néo-libéraux qui adoptent la vêture d’un langage scientifique.

On migration and asylum policy

Aubert & Kervégan: (.....) En 2015, la crise des réfugiés en Europe a interpellé l’opinion publique. Depuis cette date, la question migratoire est l’une des questions sociales et politiques les plus cruciales au niveau européen. D’un côté, cette situation renforce les tensions sociales en alimentant des mouvements d’extrême droite nationaliste (comme l’illustrent les manifestations à Chemnitz très récemment). D’un autre côté, on a l’impression que la tendance à fermer les frontières de l’UE met celle-ci, et les pays membres, en porte-en-faux avec les principes universels et humanistes de la Charte européenne des droits fondamentaux (dignité, liberté, égalité, solidarité).

Habermas: Oui, je trouve honteux le caractère glacial des récentes décisions en matière de politique du droit d’asile, eu égard au fait historique que les flux de réfugiés en provenance du Sud et du Proche-Orient sont aussi la conséquence de nos propres fautes, celles d’une décolonisation ratée. Pouvons-nous encore nous regarder dans le miroir sans rougir au vu des tragédies qui se déroulent en Méditerranée et que nous laissons plus ou moins se produire aujourd’hui du fait de l’absence de volonté de coopérer dont fait preuve le noyau dur des États européens? Bien entendu, il ne nous est pas possible d’ouvrir tout simplement les portes à tous les réfugiés. Mais, à défaut d’une politique d’asile commune à tous les États européens, laquelle a jusqu’à présent échoué à cause de la mauvaise volonté des États à s’entendre sur une clé de répartition, il faudrait que nous modifiions radicalement, et en commun, notre politique à l’endroit des pays d’où proviennent les réfugiés, avant toute chose en ce qui regarde notre propre politique économique vis-à-vis de ces pays. Et, eu égard à la corruption et au délabrement des structures étatiques de ces pays, nous ne devrions pas simplement laisser ces pays se débrouiller.

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