A new interview with Jürgen Habermas in the French newspaper "Libération" (February 1, 2021):
"La pandémie met à l’épreuve notre degré de civisme"
Excerpts
Comment percevez-vous la montée en puissance d’un complotisme radical?
Ce nouveau type de mouvements protestataires, réunissant des adeptes de l’autoritarisme et des conspirationnistes de tous poils, des hooligans et des gens de la droite radicale prêts à recourir à la violence, est à mes yeux le phénomène véritablement inquiétant. Ce n’est pas la politique sanitaire étatique qui a généré ce potentiel de violence même si celui-ci connaît une pleine visi bilité depuis la pandémie. Dès l’année 2017, la mouvance QAnon se faisait déjà entendre, et bruyamment. De façon tout à fait grotesque, ses partisans s’érigent en défenseurs des droits et de la liberté. A première vue, le mélange d’éléments autoritaires et d’éléments libertariens-égocentriques ne cadre en rien avec le schéma classique de l’antagonisme gauche-droite. Le fait que ces personnes à l’évidence avides de provocations et se mettant volontiers en scène aient largement participé le 6 janvier dernier, lors de l’assaut le Capitole, à Washington, doit nous faire réfléchir – bien que le trumpisme, aux Etats-Unis, ait naturellement de tout autres racines. Je crains que ce type de protestations, et pour lequel à ma connaissance aucune explication convaincante n’a été jusqu’à présent apportée, ne soit pas un phénomène éphémère mais le signe qu’aux actuelles apories sociales répond un nouveau profil psychologique – qui n’a pas encore été saisi avec justesse. Ce n’est pas la psychologie sociale du conspirationnisme qui est le problème fondamental, mais la question suivante: quelles sont les causes qui génèrent un tel mélange de phénomènes faisant à ce point contraste?
Comment qualifiez-vous ce danger qui menace le régime américain?
Les premières enquêtes d’opinion montrent que le noyau dur des fanatiques de Trump est allé trop loin en occupant le Capitole, y compris aux yeux de très nombreux sympathisants de l’ancien président, dont le sens civique a été heurté. D’un autre côté, le fait que 73 millions de personnes aient voté Trump constitue un signal d’alarme fort, qui doit attirer l’attention sur des tendances structurelles extrêmement malheureuses, vieilles de plusieurs décennies, et que Joe Biden ne pourra corriger du jour au lendemain, quelle que soit sa bonne volonté. [.....]
Le système politique américain a connu dès les années 90 un processus de polarisation consistant à aiguiser l’inimitié entre groupes, et cela de façon parfaitement intentionnelle, à l’initiative des républicains et sous la direction du député Newt Gingrich. Quant au système médiatique américain, qui est entièrement privatisé, il est incapable – et pas seulement depuis que la sphère publique est fragmentée par les réseaux sociaux – de faire naître à l’échelle du pays entier des débats dignes de ce nom. Le paysage politique de ce pays aux disparités sociales révoltantes et dont l’infrastructure publique tombe en ruine ne s’agence plus en fonction d’une perception et d’une évaluation rationnelles des intérêts en présence, et c’est pourquoi les confrontations politiques y sont dominées par les affects.
[.....] Une culture politique libérale doit se régénérer par elle-même. Ce n’est pas la polarisation croissante des débats publics qui me semble être le problème fondamental, mais le fait que l’on n’examine pas à fond les alternatives politiques, qu’on ne les formule pas assez clairement et qu’on ne les étaye pas suffisamment.
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