Friday, April 10, 2020

Interview with Habermas in "Le Monde"

An interview with Jürgen Habermas in "Le Monde" (April 11, 2020) on the Corona crisis and the need for European initiatives:

"Il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir" [paywall]


Excerpts:

Q [Nicolas Truong]: Comment vivezvous le confinement ?

A: Les heures sur l’ordinateur à travailler sur les sciences historiques de l’esprit sont encore celles qui souffrent le moins.

Q: Cette crise sanitaire mondiale risque d’affermir les forces du national-populisme, qui menacent déjà l’Europe, comment leur résister ?

A: Cette question se pose indépendamment de l’actuelle situation d’exception – mais elle doit se voir apporter une réponse différente dans chaque pays. En Allemagne, le passé nationalsocialiste nous a, pour l’instant, solidement prémunis contre toute manifestation explicite de l’idéologie d’extrême droite. Cela dit, les partis politiques et les autorités se sont permis d’être longtemps aveugles de l’oeil droit, sous le couvert de l’anticommunisme dominant. En France, l’extrémisme de droite organisé est déjà depuis longtemps une force politique, mais il a d’autres racines idéologiques que chez nous: il se montre plus étatiste qu’ethnonationaliste. Aujourd’hui, une gauche française à la sensibilité fondamentalement universaliste s’abîme également dans sa haine de l’Union européenne. Contrairement à quelqu’un comme Thomas Piketty, par exemple, elle a à l’évidence cessé de penser de façon conséquente son anticapitalisme – comme si le capitalisme global pouvait encore être combattu ou même apprivoisé à partir de cette très frêle et instable embarcation qu’est l’Etat national!

Q: Quel récit peuton forger pour donner un nouveau souffle à une Union européenne malaimée et désunie ?

A: Les arguments et les termes choisis ne sont pas d’un grand secours contre le ressentiment. Seul un noyau dur européen capable d’agir et d’apporter des solutions concrètes aux problèmes actuels pourrait ici se révéler précieux. Ce n’est que sur cette scène qu’il vaut la peine de combattre pour l’abolition du néolibéralisme.

Q: Comment expliquezvous que le national-populisme se soit à tel point propagé dans le monde intellectuel et l’espace public européen ?

A: Le populisme de droite "intellectuel" a peutêtre des prétentions intellectuelles, mais ce ne sont que des prétentions. C’est là, tout simplement, une pensée faible. En revanche, le populisme de droite "ordinaire", qui s’étend bien audelà des couches paupérisées et marginalisées de la population, est une réalité à prendre au sérieux. Dans les souscultures fragiles, de nombreux facteurs mobilisateurs, et donc inquiétants, viennent affecter les expériences du monde vécu: le changement technologique, la numérisation en cours du monde du travail, le phénomène migratoire, le pluralisme toujours plus grand des formes de vie, etc. Ces angoisses s’associent, d’un côté, à la crainte parfaitement réaliste de perdre son statut social et, d’un autre, à l’expérience de l’impuissance politique. Mais les affects du populisme de droite, qui, partout dans l’Union européenne, appellent à se réfugier derrière les barricades nationales, sont avant tout faits de deux choses: de la colère suscitée par le fait que l’Etat national a perdu sa capacité d’action politique et d’une sorte de réaction de défense intuitive face au véritable défi politique. 

Ce que l’on se refuse absolument à faire, c’est de s’avouer que seule l’autoaffirmation démocratique d’une Europe unie, que seul ce couragelà est à même de nous faire sortir de cette impasse postdémocratique.


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